Publication : 28 / 08 / 2020

Cette chronique a été initialement publiée, en version originale, sur le site web de l’ORTB.

La notion de vie privée sur Internet. Voilà un grand sujet qui fait toujours débat, qui inquiète certains et, surtout, qui divise les acteurs du monde numérique. On se demande même si une vie privée est possible sur Internet…

Pourquoi la question de la vie privée revient-elle souvent au sujet d’Internet ?

La question mérite d’être posée. Si la question de la vie privée sur Internet suscite autant d’interrogations et alimente autant les débats, c’est simplement parce qu’en naviguant sur le net, nous laissons un nombre impressionnants d’informations qui renseignent sur notre personne. Des choses qui, pour la plupart, relève du domaine de la vie privée. Et parfois, pour ne pas dire dans la plupart des cas, ces informations sont collectées de manière discrète à notre insu.

Du moteur de recherche au réseau social en passant par le commerce en ligne, notre vie privée s’étale sur des dizaines de bases de données détenues par les géants de l’Internet. Pour certains, associer même les deux notions, c’est à dire Internet et vie privée, dans une même phrase relève déjà du paradoxe.

Mais avant d’aller plus loin, il faudrait déjà qu’on sache très bien de quoi nous parlons lorsque nous évoquons la vie privée. D’ordinaire, on définit la vie privée comme “la capacité, pour une personne ou pour un groupe de personnes, de s’isoler afin de protéger son bien-être.” Mais le dictionnaire juridique nous apprend qu’on devrait précisément dire plutôt “le droit à l’intimité de la vie privée” qui comprend le droit à la vie sentimentale et à la vie familiale, au secret relatif à la santé, au secret de la résidence et du domicile, et au droit à l’image.

La vie privée correspond donc à la sphère d’intimité que chacun est en droit de posséder. L’image d’une personne, sa voix, sa situation familiale, ses opinions politiques ou ses croyances religieuses entrent dans le cadre de la vie privée. Le droit à la protection de la vie privée a même été consacrée à l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme.

Cependant, l’avènement de l’Internet et des réseaux sociaux en particulier va démultiplier les risques d’atteinte à la vie privée. Sur Internet, la frontière entre vie publique et vie privée n’est pas toujours évidente. Et, comme je le disais plus haut, parfois, certaines informations sont collectées sur nous à notre insu.

Justement, pourquoi les entreprises d’Internet ont-elles besoin de fouiner dans notre vies privée ?

C’est une très belle question. Et la réponse est simple : les géants de l’Internet ont besoin de nous connaître pour nous proposer toujours plus de publicité ciblée. Ainsi, plus ils auront des informations sur nous, plus ils pourront nous proposer des produits et services que nous sommes susceptibles de consommer. Cela représente d’énormes enjeux financiers car, pour la plupart, leur modèle économique repose sur les annonces publicitaires.

Et pour y arriver, ces entreprises mettent en place des mécanismes assez subtiles pour collecter le maximum d’informations sur nous. Chez Google, par exemple, dès la création d’un compte pour l’un de ses services, le groupe recueille nom, adresse e-mail, numéro de téléphone, adresse postale, voire numéro de carte de paiement.

Google va même plus loin puisque, pour chaque utilisateur, il crée “des journaux” qui incluent toutes les données précédentes, mais aussi le détail des recherches web, le détail des différentes géolocalisation, le détail relatif aux appareils utilisés pour se connecter et des informations “relatives aux communications téléphoniques” à savoir “numéro de téléphone de l’appelant, heure et date des appels, durée, données des SMS…”, etc. Il en est de même pour d’autres entreprises comme Facebook, Netflix, Amazon, Twitter, etc.

La traduction de ces collectes sur le plan commercial, est qu’avec l’aide des algorithmes, ces géants peuvent créer un prototype de chaque utilisateur et ainsi prédire ses besoins et lui proposer des annonces ciblées. Ces dernières peuvent aller de la simple publicité pour chaussures à la manipulation électorale comme on l’a vu récemment avec Facebook dans le cadre du scandale Cambridge Analytica.

Vous comprenez alors que si personne ne fournissait ces informations aux géants de l’Internet, ils ne peuvent pas gagner tout l’argent qu’ils pèsent aujourd’hui.

Peut-on finalement dire que l’avènement d’Internet a enterré la notion de vie privée ?

Cette question très pertinente dont la variante pourrait être “Internet sait-il déjà tout de nous ?” nous amène à nous interroger sur notre usage d’Internet par rapport à la protection de notre vie privée. En fait, la réponse à cette question n’est pas tranchée. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’Internet et ses applications qu’elles soient web ou mobiles auront toujours besoin de données personnelles. Autrement dit, elles auront toujours tendance à davantage pénétrer dans notre intimité avec la promesse de nous rendre la vie meilleure.

La culture du partage propre au fonctionnement des réseaux sociaux exige une redéfinition de la vie privée. Sur son application, Facebook, par exemple, nous demande explicitement de renseigner certaines informations qui relèvent de l’ordre du privé comme l’orientation sexuelle ou l’opinion politique. Mais nous ne sommes pas obligés de tout mettre.

Cette tendance a fait émerger plusieurs visions pessimistes et optimistes qui s’opposent sur l’influence de l’Internet sur la vie privée. Certains auteurs développent ainsi que le fait que les informations personnelles soient de plus en plus stockées en ligne va provoquer la mort de la vie privée. D’autres défendent que les individus peuvent choisir de protéger ou non leurs données personnelles et que les nouvelles technologies, plus qu’un danger représentent des opportunités de connexions permanentes.

Chez Facebook par exemple, la façon dont on a traité la vie privée a évolué au fil des années. En 2010, Mark Zuckerberg, le fondateur et PDG de l’entreprise, estimait que la protection de la vie privée ne constituait pas une priorité pour les internautes. Mais en 2019, sous le feu des critiques à la suite du scandale Cambridge Analytica, le patron de Facebook a annoncé une volonté de centrer la plateforme sur la notion de vie privée.

Selon moi, seul l’usage que nous en faisons peut contribuer à délimiter les frontières de la vie privée sur Internet. En cédant sans réfléchir aux incursions et appels de la technologie, nous devenons nous-même, sans s’en rendre compte, des menaces de notre propre vie privée. Par exemple, combien parmi nous comprenons les conditions d’utilisation d’une application avant de donner son autorisation ? D’ailleurs, en 2012, deux chercheurs américains ont révélé qu’il nous faudrait 76 jours entiers pour lire toutes les conditions d’utilisation et de vie privée des sites que nous utilisons au cours d’une année.

Il est donc important que les utilisateurs prennent conscience de tous les enjeux liés à la vie privée sur Internet afin d’opérer des choix en toute conscience. Par ailleurs, une grosse responsabilité revient aux Etats à travers les autorités de régulation. Ces derniers doivent mettre tout en oeuvre pour limiter les géants de l’Internet dans leurs tentatives sans cesse répétées de repousser les frontières de la vie privée.

Que faut-il faire alors pour préserver un peu de vie privée sur l’Internet ?

Alors, je n’ai aucune recette pour vous assurer une protection sans failles, mais il existe tout de même quelques conseils et astuces pour limiter les traces que nous laissons sur Internet.

En premier lieu, il faut maîtriser son smartphone. Les applications installées sur le téléphone accumulent des informations sur nos comportements ou nos déplacements tout au long de la journée. Pour éviter d’être suivi à la trace, il faut penser à désactiver la géolocalisation par GPS par exemple.

Toujours au sujet des applications, certaines d’entre elles demandes des autorisations un peu intrusives : par exemple une application de retouche photo qui veut accéder à votre carnet adresse, est-ce vraiment nécessaire ? Il ne faut autoriser le partage de données que lorsque c’est vraiment utile.

Ensuite, il faut bloquer les cookies. Les cookies sont de petits fichiers installés à l’insu de l’internaute lorsqu’on navigue sur le Web. Ils détectent et enregistrent les achats, les sites consultés… dans le but de proposer de la publicité ciblée. Mais on peut les refuser à l’entrée des sites en les bloquer. Pour éviter les cookies aussi, on peut choisir le mode de navigation privée.

L’autre conseil est d’être très prudent sur les réseaux sociaux.

La première précaution à prendre consiste à paramétrer ses comptes pour qu’ils soient privés. Ensuite, il faut publier ses photos et tout autre contenu avec discernement, c’est à dire bien choisir les ami.e.s avec lesquel(le)s on va les partager, bien sélectionner les groupes que l’on rejoint et les jeux auxquels on joue. Il faut éviter par exemple d’exposer ses enfants ou son domicile sur les réseaux sociaux.

Enfin, je peux conseiller aussi d’utiliser le réseau Tor. Ce logiciel, téléchargeable sur Internet, permet de naviguer anonymement. Ce système est utilisé par plus deux millions d’internautes, que ce soient des dissidents dans les pays où Internet est contrôlé, ou des journalistes ou des militaires, pour des raisons professionnelles.

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